Concevoir un jeu basé sur le SRD du Year Zero Engine est intimidant, voici quelques conseils pour y parvenir simplement.
Le SRD, pour System Reference Document, du Year Zero Engine n’est pas un système générique comme on pourrait le croire au premier abord, voir l’article qui compare le Year Zero Engine à Savage Worlds pour de plus amples informations sur le sujet. Il faut plutôt le voir comme un ensemble de pièces que l’on va assembler pour construire son propre système.
Le SRD présente les mécanique utilisées dans les jeux Free League basé sur le Year Zero Engine. La plupart de ces mécaniques sont bien détaillées alors que d’autres (comme le système de dés de Stress d’Alien) ne sont qu’évoquées. De plus certaines de ces mécaniques sont incompatibles entre elles.
Par exemple, il faut faire un choix entre les Pools de dés et les Dés échelonnés. Les deux systèmes ne peuvent coexister et la plupart des autres mécaniques sont ajustées suivant le choix qui aura été fait. D’autre part, certains mécanismes ne sont compatibles qu’avec une des deux alternatives. Par exemple, on ne peut utiliser le sous système des dés de Stress qu’avec les Pools de dés. C’est ce qui a conduit à l’adoption des Pool de dés pour The Walking Dead, qui utilise un système de Stress assez comparable à celui d’Alien.
Nous allons donc dans cet article lister les choix à faire lors de la conception de son propre système basé sur le SRD et détailler les implications de ces alternatives.
Les Pools de dés sont constitués d’un nombre de D6 égal à la somme d’une compétence et de son attribut lié. On jette ce pool de dés et l’on obtient autant de succès que de 6 sur les dés. C’est le système le plus répandu dans la gamme Free League.
Les Dés échelonnés sont constitués de deux dés. Ces dés peuvent être un D12 (noté A), un D10 (noté B), un D8 (noté C) ou un D6 (noté D). Les dés comportent un symbole de Succès pour les résultats de 6 ou plus et deux Succès pour les résultats de 10 ou plus. On lance les deux dés et l’on obtient autant de Succès que l’on a de symboles correspondants. Ce système est utilisé dans Twilight 2000 et Blade Runner.
Le choix de ce système est probablement le plus impactant. C’est avant tout une question de goûts : certains aiment le côté spectaculaire des brouettes de dés qu’on lance avec les Pools de dés alors que d’autre préféreront le sobriété des dés échelonnés. Cependant, ces systèmes ont aussi un impact en termes de jeu.
En termes de statistiques, les probabilités de succès sont assez semblables.
Pools de dés :
Nb de Dés | Succès | Poussé |
---|---|---|
1 | 17% | 29% |
2 | 31% | 50% |
3 | 42% | 64% |
4 | 52% | 74% |
5 | 60% | 81% |
6 | 67% | 87% |
7 | 72% | 90% |
8 | 77% | 93% |
9 | 81% | 95% |
10 | 84% | 96% |
Dés échelonnés :
Attr. / Comp. | D6 | D8 | D10 | D12 |
---|---|---|---|---|
- | 17% | 38% | 50% | 58% |
D6 | 31% | 49% | 59% | 65% |
D8 | 49% | 61% | 69% | 74% |
D10 | 59% | 69% | 75% | 79% |
D12 | 65% | 74% | 79% | 82% |
Si l’on considère que le jet le plus faible avec Pools de dés (soit un attribut de 1 et une compétence à 0) se fait avec 1D6 et que le plus faible avec des Dés échelonnés (soit un attribut de D et pas de compétence) se fait donc aussi avec 1D6, nous avons la même probabilité de succès de 17%.
Lorsqu’on améliore les compétences, nous voyons que les chances de réussite restent semblables : en passant la compétence à 1 ou D, nous lançons 2D6 dans les deux cas. Lors de la progression, les chances tournent légèrement en faveur des Pools de dés : au maximum (c’est à dire attribut et compétence à 5 ou A), nous avons 84% contre 82%.
On peut donc dire que globalement, les probabilités sont très proches.
Par contre, les choses sont différentes en terme de nombre de réussites. Tout d’abord parce que le nombre de réussites maximum est de 10 pour le Pools de dés et de 4 seulement pour les Dés échelonnés. Cependant, la probabilité d’obtenir un nombre important de réussites est faible dans les deux cas (voir l’article sur les probabilités avec le Pool de dés) : pour obtenir 4 réussites avec un pool de 10 dés, la probabilité est de 7%, avec les Dés échelonnés A et A, elle est de 6% (soit 3/12 * 3/12
).
Un autre effet à prendre en compte lors du choix du type de dés est la probabilité d’obtenir un Écueil (soit un 1 au dé). Dans le cas d’un pool de 10 dés, la probabilité est de 84% alors qu’elle n’est que de 16% avec des dés échelonnés A et A. Si l’écueil a un effet négatif cela aboutit au paradoxe que plus on est compétent, plus on a de chance de provoquer un effet négatif, ce qui est contre intuitif.
Dernier point à prendre en considération : les Dés échelonnés impliquent des mécaniques moins évidentes pour appliquer des bonus ou des malus. Avec des Pools de dés il suffit d’ajouter ou de soustraire des dés, avec les Dés échelonnés, c’est moins simple.
Dans une interview à forbes.com, Thomas Härenstam expliquait ce choix des Dés échelonnés pour Blade Runner :
En raison de l’accent mis sur les enquêtes, les choix moraux et le développement des personnages, nous avons décidé dès le départ d’avoir des mécanismes de jeu qui ne prennent pas trop de place dans la tête ou sur la table. C’est la principale raison de l’utilisation d’une version modifiée du Year Zero Engine, avec seulement deux dés au lieu des plus grandes réserves de dés que l’on voit dans d’autres jeux. Dans l’ensemble, les mécanismes sont conçus pour se fondre dans le décor et soutenir le jeu sans exiger trop d’attention de la part des joueurs.
Cette mécanique est au cœur du système Year Zero et permet de lui donner toute sa saveur. Voici les mécaniques de poussée des jets pour les jeux YZE traduits dans nos contrées :
Mutant Year Zero couple les Écueils avec les points de mutation, des dégâts d’attributs et de l’usure des outils. Lorsqu’on pousse un jet et que l’on obtient un Écueil sur un dés d’attribut, on perd un point dans cet attribut et l’on gagne un point de mutation. Lorsque l’Écueil survient sur un dé d’équipement (y compris les armes), celui-ci perd un point de bonus.
Coriolis associe les Écueils aux points d’ombre. Lorsqu’on pousse un jet, le MJ gagne un point d’ombre qu’il pourra dépenser pour mettre des bâtons dans les roues des joueurs.
Tales from the Loop lie la poussée aux états. Un personnage dont le joueur pousse un jet gagne un état (Contrarié, Effrayé, Épuisé ou Blessé). Cela permet d’affaiblir les personnages sans combats. En effet, les personnages sont des enfants et ne peuvent pas mourir.
Forbidden Lands quand à lui donne des points de volonté lorsqu’on pousse un jet et obtient des Écueils, en plus de dégâts sur les attributs. Ces points de volonté permettent d’activer certains talents mais surtout de lancer des sorts.
Alien met en place une mécanique de stress. Lorsqu’on pousse un jet, on gagne automatiquement un point de stress. On jette un dé supplémentaire par point de stress du personnage. On augmente donc les chances de réussite des actions, mais si l’on obtient un face huger sur un dé de stress (un Écueil), on doit faire un jet de panique qui peut avoir de graves conséquences.
Nous voyons par ces exemples que les mécaniques de poussée sont très variées et toutes liées à l’univers du jeu, pour lui donner une saveur qui lui sera propre. Et c’est ce qui rend les jeux motorisés par le Year Zero Engine si différents.
Ceci dit, cette mécanique est probablement celle qui demande le plus de créativité mais aussi qui va faire que votre jeu sera vraiment unique.
Une autre décision à prendre lors de la construction de son système basé sur le SRD porte sur la gestion des dégâts. Les solutions que propose le SRD sont les suivantes :
Les systèmes utilisant des points de Santé peuvent ajuster la difficulté par le calcul de ces points. Il doit bien sûr dépendre des attributs, comme la Force en particulier, mais il existe différents modes de calcul qui rendent le jeu plus ou moins épique. Par exemple, les PV de Coriolis sont la somme de la Vigueur et de l’Agilité alors que ceux d’Alien sont égaux à la Force uniquement, pour des dégâts des armes comparables.
La liste des attributs est variable mais ils sont souvent des variations autour de Force, Agilité, Esprit et Empathie. Les changements sont souvent guidés par le choix des compétences liées à ces attributs. Par exemple, Tales from the Loop propose l’attribut Technique car les compétences relatives à la technique sont importantes dans ce jeu.
Le choix des compétences est aussi très important lors de la conception de votre jeu. Il va conditionner le plaisir des joueurs à la table : les compétences mal nommées ou pas adaptées à l’univers du jeu vont rebuter les joueurs. D’autre part, il est important de mettre le même nombre de compétences par attribut pour ne pas en favoriser un par rapport aux autres.
Il faut commencer par décider du nombre de compétences. Il est généralement de 12, soit 3 compétences par attribut, mais il peut être de 16, comme dans Forbidden Lands. Plus il y a de compétences, plus les personnages seront spécialisés et plus les joueurs seront perdus dans leur feuille de personnage.
Ensuite, il faut choisir des compétences adaptées à l’univers et assez générales. Il est important que chaque compétence soit utile. Il est assez pénible au joueur d’avoir sous les yeux une feuille de personnage remplies de compétences très spécifiques, voire totalement inutiles. D’autre part, il faut bien les nommer de manière à éviter tout ambiguïté.
Le point le plus important est de résister à la tentation de créer des listes de compétences à rallonge. Cela va totalement à l’encontre de l’esprit du Year Zero Engine.
Si l’on souhaite donner à des personnages des compétences spécifiques, on peut utiliser les spécialités (aussi appelées talents). Par exemple, il semble logique qu’un archéologue travaillant en Égypte soit capable de déchiffrer les hiéroglyphes, connaisse les us et coutumes de l’Égypte ancienne et son histoire. On pourra alors lui donner la spécialité Égyptologie.
Voici les compétences des jeux Year Zero Engine traduits en français (merci à Cyril Ribas / PixelD20 pour cette table) :
Selon les jeux, la feuille de personnage comporte différents traits de personnalité. Par exemple, un jeu comme Tales from the Loop insistera sur les relations au sein du groupe et avec les parents alors qu’un jeu comme Alien donnera à chaque personnage un objectif secret pouvant donner lieu à des conflits.
Ces traits de personnalité ont cependant essentiellement pour but de guider le role play lors de la partie.
Il existe dans le SRD une liste de spécialités assez générique, mais il peut être utile d’ajouter des spécialités spécifiques au setting ou d’en soustraire certaines qui ne sont pas adaptées. Il faut cependant rester raisonnable car on peut vite perdre les joueurs dans une liste trop longue.
Les archétypes ne sont pas indispensables pour le Year Zero Engine. Cependant, ils aident les joueurs à choisir des personnages qui collent à l’univers du jeu et guident leur choix d’une spécialité. On gagne ainsi en cohérence de l’univers et beaucoup de temps lors de la création des personnages.
En pratique, on pourra suivre les étapes suivantes pour développer son jeu motorisé avec le Year Zero Engine :
C’est le process que j’ai suivi pour développer le Generic YZE, en faisant les choix suivants :
Néanmoins, ce processus demande tout de même un certain investissement que les joueurs qui souhaitent adapter le Year Zero Engine à leur univers de jeu favoris n’ont pas forcément. Dans ce cas, une solution plus rapide consiste à créer une extension pour le Generic YZE, qui est une déclinaison générique du YZE. Il ne reste alors qu’à décrire la différence avec le Generic YZE.
C’est la méthode que j’ai appliqué pour faire une déclinaison du YZE pour les univers Lovecraftiens. Les modifications au système générique sont les suivantes :
Ce processus fait gagner beaucoup de temps et permet de faire de rêves d’adaptations de vos univers de prédilection des réalités concrètes.
Enjoy!